CRITIQUES
Un petit livre bleu. Comme un carnet. De souvenirs… Un petit bijou de mélancolie. De nostalgie. Sans jamais tomber dans la tristesse. Non, ici la tristesse n'a pas droit de cité. Juste la douceur de se souvenir avec émotion des jours heureux. Des moments de rien, ces petits rien qu'on voit à peine passer et qui longtemps après laissent en bouche le goût du bonheur… Un livre plein de profondeur. De sérénité. D'émotion. De pureté.
Sofie Vinet s'est plongée dans les petits objets de Marie-Louise, sa grand-mère, et accompagne chacun d'eux (présents dans le livre sous forme de photo) d'un petit texte. Et la magie opère. On entre dans cet univers qui nous est inconnu. On y entre et on s'y sent chez soi. Parce que c'est juste. Parce que nos vies ont des similitudes… Parce qu'on est tous exilés de son enfance…Et que le bonheur, ça nous travaille tous.
Patrick Joquel
C'est sous-titré inventaire. Et c'est bien de cela qu'il s'agit. Marie-Louise, c'est la grand-mère de Sofie. Et quand elle a disparu, Sofie a fouillé, fouiné et recensé dans les tiroirs, armoires et placards, toutes sortes de petits objets dont elle donne chaque fois une représentation photographique comme une preuve à l'appui de ses dires. Il y a des vieux journaux, avec des nouvelles d'un autre monde, une boite à savon contenant des poupées, une boite de médicaments renfermant des boutons, quelques photos, des objets religieux : eau bénite, chapelet, cierges, des ustensiles de couture et de tricot, un cadenas ici, des carnets et un agenda, de la ficelle, des étiquettes, une clé là, trois fèves, des vêtements, des boites vides... Tous objets sans valeur financière, d'aucun rapport dans un vide-grenier, mais à forte teneur sentimentale. Chaque commentaire de la petite-fille apportant une information, un sentiment, un sens à ce fourre-tout bien ordonné, et peu à peu on reconstitue une vie un peu passée mais qui s'est fondée sur toutes ces humbles choses qu'elle a laissées derrière elle et qui aurait certainement été rejetées aussi bien. Sofie Vinet en artiste plasticienne restitue leur dimension d'élégance, de délicatesse et de grâce à ce qu'on aurait pensé suranné, désuet, vieillot, défraîchi. On finit par regarder son carnet comme une exposition intime et lumineuse.
Jacmo - Décharge n° 130 - juin 2006
Une réflexion née d’un livre de Sofie Vinet
Ce livre propose un inventaire d’objets (photographiés) et de textes, qui mérite méditation et donc, comme tout bon livre de poésie, ne sera pas lu en cinq minutes, mais pendant une année et plus (tout dépend de la manière dont vous méditez un livre).
Ce livre a été publié aux éditions Soc et foc, en janvier 2006.
Les inventaires sont une des approches fondamentales de la littérature. Les animateurs d’ateliers utilisent sans fin les inventaires. Les écrivains les utilisent sans fin. Les religions avec leurs litanies les utilisent sans fin. Les généalogies les utilisent sans fin, les boutiquiers les utilisent sans fin,…
Voilà j’ai commencé un inventaire mais ce n’est pas de celui-là que je souhaite parler. Je veux parler de celui qui se cache sous les références ci-dessous.
Sofie Vinet rend visite dans ce livre aux petits objets de rien du tout qui ont appartenu à sa grand-mère et à la relation de sa grand-mère aux autres. Elle nous en montre images et textes qui les fait perdurer.
Chaque petit texte, d’un abord très simple, est une mise en marche intérieure à partir de l’objet.
Ainsi de cette « capuche plastique à deux francs », retrouvée sur une table de nuit, endroit insolite pour cela
ou de la rentrouvaille d’un petite bouteille de mercurochrome bien connu des enfants après être tombé :
ça pique
il faut enlever les petits cailloux
Découverte aussi d’un « carnet vert » :
il n’y a rien dedans
seulement quelques pages découpées
J’aime ces carnets que l’on retrouve au fond des tiroirs, carnets dont l’existence en soi rappelle l’écriture toujours possible, une réserve à mémoire, carnet acheté en sus des fournitures scolaires, gagné dans un concours, plaisant à la vue, acquis pour un projet qui n’a jamais vu le jour ou encore acquis d’une autre manière (qui est-ce qui a dérangé de « tenir son carnet » carnet intime carnet ultime, carnet de mille sabord). Quel était le projet d’écriture de copie de non-écriture d’inventaire à la base de cette acquisition ou de cette mise de côté.
Un petit livre pour grand lecteur et méditeurs du monde. Un monde qui nous est proche et qu’il faut oser méditer. Régine Detambel a dressé les textes des objets d’écolier (Graveurs d’enfance, réd. Folio, 2001), là ce sont objets de grand mère ? Nostalgiques les inventaires ? Pas nécessairement pas tout le temps. En tout cas certes marqueurs du temps de ceux qui savent que le passé se conjugue au présent et que ce n’est qu’au présent que le passé existe. Alors je reviendrai sans doute ailleurs sur d’autres déclencheurs dans ce « Grand livre ». Ce type d’inventaire où l’objet renvoie à son histoire à notre histoire est une composante essentielle des inventaires.
Allez vite retrouver ce petit livre qui comme tous les grands livres parle aux petits comme aux grands.
(...)
Alors à votre tour allez fouiner, fouiner dans les affaires de la grand-mère, le jardin du grand-père, le tiroir du petit frère, la bibliothèque des parents, et rapportez votre rapport aux objets, qu’ils paraissent très simples ou un peu étonnants (...).
Jean Foucault - Lignes d'écriture |