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Un regard bleu doux
Je me revois très souvent
En guenilles empruntées trop grandes,
Arpentant joyeusement la cour
Saturée d’oies, pintades, poules
Capharnaüm prodigieux de caquetage,
Chahutant, diablesse, de ci de là,
Sous l’immense hangar à foin
Et la lourde chaleur de juin.
J’avais en ces temps de rêve
De longs cheveux blonds,
De grands yeux très verts
Et une coquinerie au menton.
Je revois ma grand-mère
Par deux seaux d’eau empêtrée,
Me fredonner aux oreilles,
Dans son curieux franco-polonais,
Une chanson bien de chez elle
Un chant que je n’ai pas oublié.
Malicieuse, elle se dandinait
Comme mes amis les canards
Et se plaisait à m’émerveiller
Ou me faire rire aux éclats !
Je ne comprenais pas toujours,
Ce qu’elle me chantait,
Mais son regard bleu doux,
Sur moi tendrement posé,
Pour me rassurer suffisait.
Je revois mon grand-père,
Sur son tracteur neuf hissé
Me lorgner d’un œil sévère
Si, d’aventure, j’oubliais de le saluer !
Il était très grand, très fier,
Un homme usé par la terre
Qu’il ne cessa jamais d’aimer.
Petite fille, il m’impressionnait.
Lui, c’est le soir qu’il parlait
Et les yeux écarquillés, j’écoutais,
L’histoire de mes ancêtres polonais.
Je ne comprenais pas toujours,
C’est vrai, ce qu’il racontait
Mais encore une fois il suffisait,
Ce regard bleu doux,
Sur moi tendrement posé,
Pour m’interpeler et m’apaiser !
Je me revois très souvent
En guenilles spécialement choisies,
Heureuse et innocente petite fille,
Courir à travers bois et champs,
Les bras tendus, à leur rencontre !
Et même si je ne cours plus aujourd’hui,
Parce que je suis d’un autre monde
Jamais mes souvenirs, mes beaux souvenirs,
Jamais, non, mes souvenirs ne s’estompent !
©
Plume - Corinne Giacometti
http://laplume-de-giacometti.net
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